Alfred de Musset. Mme La Marquise.
Madame La Marquise
Vous connaissez que j’ai pour mie
Une Andalouse à l’oeil lutin,
Et sur mon coeur, tout endormie,
Je la berce jusqu’au matin.
Voyez-la, quand son bras m’enlace,
Comme le col d’un cygne blanc,
S’enivrer, oublieuse et lasse,
De quelque rêve nonchalant.
Gais chérubins! veillez sur elle.
Planez, oiseaux, sur notre nid;
Dorez du reflet de votre aile
Son doux sommeil, que Dieu bénit!
Car toute chose nous convie
D’oublier tout, fors notre amour:
Nos plaisirs, d’oublier la vie;
Nos rideaux, d’oublier le jour.
Pose ton souffle sur ma bouche,
Que ton âme y vienne passer!
Oh! restons ainsi dans ma couche,
Jusqu’à l’heure de trépasser!
Restons! L’étoile vagabonde
Dont les sages ont peur de loin
Peut-être, en emportant le monde,
Nous laissera dans notre coin.
Oh! viens! dans mon âme froissée
Qui saigne encor d’un mal bien grand,
Viens verser ta blanche pensée,
Comme un ruisseau dans un torrent!
Car sais-tu, seulement pour vivre,
Combien il m’a fallu pleurer?
De cet ennui qui désenivre
Combien en mon coeur dévorer?
Donne-moi, ma belle maîtresse,
Un beau baiser, car je te veux.
Raconter ma longue détresse,
En caressant tes beaux cheveux.
Or voyez qui je suis, ma mie,
Car je vous pardonne pourtant
De vous être hier endormie
Sur mes lèvres, en m’écoutant.
Pour ce, madame la marquise,
Dès qu’à la ville il fera noir,
De par le roi sera requise
De venir en notre manoir;
Et sur mon coeur, tout endormie,
La bercerai jusqu’au matin,
Car on connaît que j’ai pour mie
Une Andalouse à l’oeil lutin.
Alfred de Musset
Pierre de Ronsard. A un rossignol.
« A un Rossignol »
Chantre Rossignol passager,
Qui t’es encor venu loger
Dedans cette fraîche ramée
Sur ton épine accoutumée,
Et qui nuit et jour de ta voix
Assourdis les monts et les bois,
Redoublant la vieille querelle
De Térée et de Philomèle,
Je te supplie (ainsi toujours
Puisses jouir de tes amours)
De dire à ma douce inhumaine,
Au soir quand elle se promène
Ici pour ton nid épier,
Que jamais ne faut se fier
En la beauté ni en la grâce
Qui plus tôt qu’un songe se passe.
Dis-lui que les plus belles fleurs
En Janvier perdent leurs couleurs,
Et quand le mois d’Avril arrive
Qu’ils revêtent leur beauté vive;
Mais quand des filles le beau teint
Par l’âge est une fois éteint,
Dis-lui que plus il ne retourne,
Mais bien qu’en sa place séjourne
Au haut du front je ne sais quoi
De creux à coucher tout le doigt,
Et toute la face séchée
Se fait comme une fleur touchée
Du soc aigu; dis-lui encor
Qu’après qu’elle aura changé l’or
De ses blonds cheveux, et que l’âge
Aura crespé son beau visage,
Qu’en vain lors elle pleurera
De quoi jeunette elle n’aura
Pris les plaisirs qu’on ne peut prendre
Quand la vieillesse nous vient rendre
Si froids d’amours et si perclus
Que les plaisirs ne plaisent plus.
Mais, Rossignol, que ne vient-elle
Maintenant sur l’herbe nouvelle
Avecque moi sous ce buisson?
Au bruit de ta douce chanson,
Je lui ferais sous la coudrette
Sa couleur blanche vermeillette.
Pierre de Ronsard.
Chateaubraind. Le soir dans une vallée.
Le Soir, dans une vallée
Déjà le soir de sa vapeur bleuâtre
Enveloppait les champs silencieux ;
Par le nuage étaient voilés les cieux :
Je m’avançais vers la pierre grisâtre.
Du haut d’un mont une onde rugissant
S’élançait : sous de larges sycomores,
Dans ce désert d’un calme menaçant,
Roulaient des flots agités et sonores.
Le noir torrent, redoublant de vigueur,
Entrait fougueux dans la forêt obscure
De ces sapins, au port plein de langueur,
Qui, négligés comme dans la douleur,
Laissent tomber leur longue chevelure,
De branche en branche errant à l’aventure.
Se regardant dans un silence affreux,
Des rochers nus s’élevaient, ténébreux ;
Leur front aride et leurs cimes sauvages
Voyaient glisser et fumer les nuages :
Leurs longs sommets, en prisme partagés,
Etaient des eaux et des mousses rongés.
Des liserons, d’humides capillaires,
Couvraient les flancs de ces monts solitaires ;
Plus tristement des lierres encor
Se suspendaient aux rocs inaccessibles ;
Et contrasté, teint de couleurs paisibles,
Le jonc, couvert de ses papillons d’or,
Riait au vent sur des sites terribles.
Mais tout s’efface, et surpris de la nuit,
Couché parmi des bruyères laineuses,
Sur le courant des ondes orageuses
Je vais pencher mon front chargé d’ennui.
François-René de Chateaubriand (1768-1848). Tableaux de la nature
Verlaine. Paysages.
Paysages
A Anatole Baju
Au pays de mon père on voit des bois sans nombre.
Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l’ombre
Et la myrtille est noire au pied du chêne vert.
Noire de profondeur, sur l’étang découvert,
Sous la bise soufflant balsamiquement dure
L’eau saute à petits flots, minéralement pure.
Les villages de pierre ardoisière aux toits bleus
Ont leur pacage et leur labourage autour d’eux.
Du bétail non pareil s’y fait des chairs friandes
Sauvagement un peu parmi les hautes viandes;
Et l’habitant, grâce à la Foi sauve, est heureux.
Au pays de ma mère est un sol plantureux
Où l’homme, doux et fort, vit prince de la plaine
De patients travaux pour quelles moissons pleine,
Avec, rares, des bouquets d’arbres et de l’eau.
L’industrie a sali par places ce tableau
De paix patriarcale et de campagne dense
Et compromis jusqu’à des points cette abondance,
Mais l’ensemble est resté, somme toute, très bien.
Le peuple est froid et chaud, non sans un fond chrétien.
Belle, très au dessus de toute la contrée,
Se dresse éperdument la tour démesurée
D’un gothique beffroi sur le ciel balancé
Attestant les devoirs et les droits du passé,
Et tout en haut de lui le grand lion de Flandre
Hurle en cris d’or dans l’air moderne: « Osez les prendre! »
Le pays de mon rêve est un site charmant
Qui tient des deux aspects décrits précédemment:
Quelque âpreté se mêle aux saveurs géorgiques.
L’amour et le loisir même sont énergiques,
Calmes, équilibrés sur l’ordre et le devoir.
La vierge en général s’abstient du nonchaloir
Dangereux aux vertus, et l’amant qui la presse
A coutume avant tout d’éviter la paresse
Où le vice puisa ses larmes en tout temps,
Si bien qu’en mon pays tous les coeurs sont contents,
Sont, ou plutôt étaient.
Au coeur ou dans la tête,
La tempête est venue. Est-ce bien la tempête?
Et tous cas, il y eut de la grêle et du feu,
Et la misère, et comme un abandon de Dieu.
La mortalité fut sur les mères taries
Des troupeaux rebutés par l’herbe des prairies
Et les jeunes sont morts après avoir langui
D’un sort qu’on croyait parti d’où, jeté par qui?
Dans les champs ravagés la terre diluée
Comme une pire mer flotte en une buée.
Des arbres détrempés les oiseaux sont partis,
Laissant leurs nids et des squelettes de petits.
D’amours de fiancés, d’union des ménages
Il n’est plus question dans mes tristes parages.
Mais la croix des clochers doucement toujours luit,
Dans les cages plus d’une cloche encor bruit,
Et, béni signal d’espérance et de refuge,
L’arc-en-ciel apparaît comme après le déluge.
Paul Verlaine.
C. des Roches. Bouche dont la douceur…
Bouche dont la douceur m’enchante doucement…
Bouche dont la douceur m’enchante doucement
Par la douce faveur d’un honnête sourire,
Bouche qui soupirant un amoureux martyre
Apaisez la douleur de mon cruel tourment !
Bouche, de tous mes maux le seul allégement,
Bouche qui respirez un gracieux zéphyr(e) :
Qui les plus éloquents surpassez à bien dire
A l’heure qu’il vous plaît de parler doctement ;
Bouche pleine de lys, de perles et de roses,
Bouche qui retenez toutes grâces encloses,
Bouche qui recelez tant de petits amours,
Par vos perfections, ô bouche sans pareille,
Je me perds de douceur, de crainte et de merveille
Dans vos ris, vos soupirs et vos sages discours.
Catherine Des Roches(1542-1587)
José Maria de Hérédia, Mer montante
Mer montante
Le soleil semble un phare à feux fixes et blancs.
Du Raz jusqu’à Penmarc’h la côte entière fume,
Et seuls, contre le vent qui rebrousse leur plume,
A travers la tempête errent les goëlands.
L’une après l’autre, avec de furieux élans,
Les lames glauques sous leur crinière d’écume,
Dans un tonnerre sourd s’éparpillant en brume,
Empanachent au loin les récifs ruisselants.
Et j’ai laissé courir le flot de ma pensée,
Rêves, espoirs, regrets de force dépensée,
Sans qu’il en reste rien qu’un souvenir amer.
L’Océan m’a parlé d’une voix fraternelle,
Car la même clameur que pousse encor la mer
Monte de l’homme aux Dieux, vainement éternelle.
José-Maria de HEREDIA (1842-1905)
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André Chenier . A l’hirondelle.
A l’hirondelle
Fille de Pandion, ô jeune Athénienne,
La cigale est ta proie, hirondelle inhumaine,
Et nourrit tes petits qui, débiles encor,
Nus, tremblants, dans les airs n’osent prendre l’essor.
Tu voles ; comme toi la cigale a des ailes.
Tu chantes ; elle chante. A vos chansons fidèles
Le moissonneur s’égaye, et l’automne orageux
En des climats lointains vous chasse toutes deux.
Oses-tu donc porter, dans ta cruelle joie,
A ton nid sans pitié cette innocente proie ?
Et faut-il voir périr un chanteur sans appui
Sous la morsure, hélas ! d’un chanteur comme lui !
André CHÉNIER
Chateaubriand. Le soir au bord de la mer.
Le Soir au bord de la mer
Les bois épais, les sirtes mornes, nues,
Mêlent leurs bords dans les ombres chenues.
En scintillant dans le zénith d’azur,
On voit percer l’étoile solitaire :
A l’occident, séparé de la terre,
L’écueil blanchit sous un horizon pur,
Tandis qu’au nord, sur les mers cristallines,
Flotte la nue en vapeurs purpurines.
D’un carmin vif les monts sont dessinés ;
Du vent du soir se meurt la voix plaintive ;
Et mollement l’un à l’autre enchaînés,
Les flots calmés expirent sur la rive.
Tout est grandeur, pompe, mystère, amour :
Et la nature, aux derniers feux du jour,
Avec ses monts, ses forêts magnifiques,
Son plan sublime et son ordre éternel,
S’élève ainsi qu’un temple solennel,
Resplendissant de ses beautés antiques.
Le sanctuaire où le Dieu s’introduit
Semble voilé par une sainte nuit ;
Mais dans les airs la coupole hardie,
Des arts divins, gracieuse harmonie,
Offre un contour peint des fraîches couleurs
De l’arc-en-ciel, de l’aurore et des fleurs.
Chateaubriand, François-René de (1768-1848).
Tableaux de la nature