La rose et le réséda. Louis Aragon.
La Rose et le Réséda (Louis Aragon, 1943)
La Rose et le Réséda
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fût de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfèrent les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
A la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda
Intégralité du texte La Rose et le Réséda, poème écrit par Louis Aragon et paru pour la première fois en mars 1943.
Les Ombres. Emile Verhaeren.
LES OMBRES.
Trouant de tes rayons sans nombre
Le feuillage léger,
Soleil,
Tu promènes, comme un berger,
Le tranquille troupeau des ombres
Dans les jardins et les vergers.
Dès le matin, par bandes,
Sitôt que le ciel est vermeil,
Elles s’étendent
Au loin, là-bas, jusques à l’horizon;
Leur masse lente et leur dessin mobile
Ornent les toits couverts de tuiles
Et se penchent sur les pignons
Des hameaux recueillis et des humbles maisons.
Les angelus des petites chapelles
D’une voix grêle les rappellent;
Midi les serre en rond
Autour des troncs.
En petits tas, elles prolongent leur sieste
Jusqu’au moment où s’animent les champs :
L’heure sonnant alors joyeuse et preste
Les disperse sur le penchant
Des talus verts et des collines;
Déjà les brouillards fins tissent leurs mousselines
Fines,
Mais les ombres se ravivent encor
Et s’allongent et s’étalent dans le décor
Et le faste sanglant des fleurs et des fruits rouges,
Et ne rentrent qu’au soir ou plus ni vent ni bruit
Ne bougent,
Toutes ensemble, au bercail de la nuit
Emile Verhaeren (Les blés mouvants)