Pierre de Ronsard. A un rossignol.
« A un Rossignol »
Chantre Rossignol passager,
Qui t’es encor venu loger
Dedans cette fraîche ramée
Sur ton épine accoutumée,
Et qui nuit et jour de ta voix
Assourdis les monts et les bois,
Redoublant la vieille querelle
De Térée et de Philomèle,
Je te supplie (ainsi toujours
Puisses jouir de tes amours)
De dire à ma douce inhumaine,
Au soir quand elle se promène
Ici pour ton nid épier,
Que jamais ne faut se fier
En la beauté ni en la grâce
Qui plus tôt qu’un songe se passe.
Dis-lui que les plus belles fleurs
En Janvier perdent leurs couleurs,
Et quand le mois d’Avril arrive
Qu’ils revêtent leur beauté vive;
Mais quand des filles le beau teint
Par l’âge est une fois éteint,
Dis-lui que plus il ne retourne,
Mais bien qu’en sa place séjourne
Au haut du front je ne sais quoi
De creux à coucher tout le doigt,
Et toute la face séchée
Se fait comme une fleur touchée
Du soc aigu; dis-lui encor
Qu’après qu’elle aura changé l’or
De ses blonds cheveux, et que l’âge
Aura crespé son beau visage,
Qu’en vain lors elle pleurera
De quoi jeunette elle n’aura
Pris les plaisirs qu’on ne peut prendre
Quand la vieillesse nous vient rendre
Si froids d’amours et si perclus
Que les plaisirs ne plaisent plus.
Mais, Rossignol, que ne vient-elle
Maintenant sur l’herbe nouvelle
Avecque moi sous ce buisson?
Au bruit de ta douce chanson,
Je lui ferais sous la coudrette
Sa couleur blanche vermeillette.
Pierre de Ronsard.