La joie. Emile Verhaeren.
La joie
ô ces larges beaux jours dont les matins flamboient !
La terre ardente et fière est plus superbe encor
et la vie éveillée est d’ un parfum si fort
que tout l’ être s’ en grise et bondit vers la joie.
Soyez remerciés, mes yeux,
d’ être restés si clairs, sous mon front déjà vieux,
pour voir au loin bouger et vibrer la lumière ;
et vous, mes mains, de tressaillir dans le soleil ;
et vous, mes doigts, de vous dorer aux fruits vermeils
pendus au long du mur, près des roses trémières.
Soyez remercié, mon corps,
d’ être ferme, rapide, et frémissant encor
au toucher des vents prompts ou des brises profondes ;
et vous, mon torse droit et mes larges poumons,
de respirer, au long des mers ou sur les monts,
l’ air radieux et vif qui baigne et mord les mondes.
ô ces matins de fête et de calme beauté !
Roses dont la rosée orne les purs visages,
oiseaux venus vers nous, comme de blancs présages,
jardins d’ ombre massive ou de frêle clarté !
à l’ heure où l’ ample été tiédit les avenues,
je vous aime, chemins, par où s’ en est venue
celle qui recélait, entre ses mains, mon sort ;
je vous aime, lointains marais et bois austères,
et sous mes pieds, jusqu’ au tréfonds, j’ aime la terre
où reposent mes morts.
J’ existe en tout ce qui m’ entoure et me pénètre.
Gazons épais, sentiers perdus, massifs de hêtres,
eau lucide que nulle ombre ne vient ternir,
vous devenez moi-même étant mon souvenir.
Ma vie, infiniment, en vous tous se prolonge,
je forme et je deviens tout ce qui fut mon songe ;
dans le vaste horizon dont s’ éblouit mon oeil,
arbres frissonnants d’ or, vous êtes mon orgueil ;
ma volonté, pareille aux noeuds dans votre écorce,
aux jours de travail ferme et sain, durcit ma force.
Quand vous frôlez mon front, roses des jardins clairs,
de vrais baisers de flamme illuminent ma chair ;
tout m’ est caresse, ardeur, beauté, frisson, folie,
je suis ivre du monde et je me multiplie
si fort en tout ce qui rayonne et m’ éblouit
que mon coeur en défaille et se délivre en cris.
ô ces bonds de ferveur, profonds, puissants et tendres
comme si quelque aile immense te soulevait,
si tu les as sentis vers l’ infini te tendre,
homme, ne te plains pas, même en des temps mauvais ;
quel que soit le malheur qui te prenne pour proie,
dis-toi, qu’ un jour, en un suprême instant,
tu as goûté quand même, à coeur battant,
la douce et formidable joie,
et que ton âme hallucinant tes yeux
jusqu’ à mêler ton être aux forces unanimes,
pendant ce jour unique et cette heure sublime,
t’ a fait semblable aux dieux.
Émile Verhaeren. La multiple splendeur.
La Roche Jagu
Les allées de camélias sont un enchantement à cette époque. De nombreuses espèces sont présentes.
La Roche-Jagu, une balade au coeur du Moyen Age
A une dizaine de kilomètres au sud de Tréguier, vous allez rencontrer, dominant la vallée, la silhouette imposante de ce très beau château, représentatif de l’architecture médiévale en Bretagne.
Construit au XVe siècle, il possède un style qui lui est propre, à mi-chemin entre château et manoir. Ce mélange surprenant est dû aux reconstructions successives dont il a été l’objet. Des reconstructions qui s’expliquent par les guerres qui se sont déroulées dans la région durant les siècles passés.
- Mais cette particularité n’enlève rien au charme du site. Bâti à près de 60 mètres de hauteur, au bord du Trieux, ce château possède en effet une élégante façade sur cour et un intérieur d’une grande richesse architecturale. Il faut s’attarder plus particulièrement dans la cuisine. Celle-ci possède un beau four à pain, ainsi que trois cheminées monumentales, dont deux sont jumelées, ce qui était rare à l’époque en Bretagne.
- La petite chapelle mérite également toute votre attention. Enfin, le chemin de ronde, adjonction postérieure de la fin du XVe siècle, permet une vue unique sur la vallée du Trieux et ses environs.
On s’attendrait presque à y rencontrer un seigneur d’autrefois.
http://www.bretagne.com/fr/tourisme/visiter/monuments_et_musees/cotes_d_armor/la_roche_jagu
Théophile Gautier La nue.
La nue
A l’horizon monte une nue,
Sculptant sa forme dans l’azur :
On dirait une vierge nue
Emergeant d’un lac au flot pur.
Debout dans sa conque nacrée,
Elle vogue sur le bleu clair,
Comme une Aphrodite éthérée,
Faite de l’écume de l’air.
On voit onder en molles poses
Son torse au contour incertain,
Et l’aurore répand des roses
Sur son épaule de satin.
Ses blancheurs de marbre et de neige
Se fondent amoureusement
Comme, au clair-obscur du Corrège,
Le corps d’Antiope dormant.
Elle plane dans la lumière
Plus haut que l’Alpe ou l’Apennin ;
Reflet de la beauté première,
Soeur de » l’éternel féminin « .
A son corps, en vain retenue,
Sur l’aile de la passion,
Mon âme vole à cette nue
Et l’embrasse comme Ixion.
La raison dit : » Vague fumée,
Où l’on croit voir ce qu’on rêva,
Ombre au gré du vent déformée,
Bulle qui crève et qui s’en va ? «
Le sentiment répond : » Qu’importe !
Qu’est-ce après tout que la beauté,
Spectre charmant qu’un souffle emporte
Et qui n’est rien, ayant été !
» A l’Idéal ouvre ton âme ;
Mets dans ton coeur beaucoup de ciel,
Aime une nue, aime une femme,
Mais aime ! – C’est l’essentiel ! «
Théophile GAUTIER (1811-1872)