Entrée au collège.
J’ai trouvé ce texte particulièrement émouvant et j’ai voulu vous le soumettre.
Bonne lecture.
George Sand (1804-1876). Histoire de ma vie
Un autre chagrin plus profond pour moi fut l’entrée
de mon fils au collège. J’avais attendu avec
impatience le moment de l’avoir près de moi, et ni
lui ni moi ne savions ce que c’est que le collège.
Je ne veux pas médire de l’éducation en commun,
mais il est des enfants dont le caractère est
antipathique à cette règle militaire des lycées, à
cette brutalité de la discipline, à cette absence
de soins maternels, de poésie extérieure, de
recueillement pour l’ esprit, de liberté pour la
pensée. Mon pauvre Maurice était né artiste, il
en avait tous les goûts, il en avait pris avec
moi toutes les habitudes, et, sans le savoir encore,
il en avait toute l’ indépendance. Il se faisait
presque une fête d’entrer au collège, et, comme
tous les enfants, il voyait un plaisir dans un
changement de lieu et d’existence. Je le conduisis
donc à Henri IV, gai comme un petit pinson, et
contente moi-même de le voir si bien disposé.
Sainte-Beuve, ami du proviseur, me promettait qu’il
serait l’objet d’une sollicitude particulière. Le
censeur était un père de famille, un homme excellent,
qui le reçut comme un de ses enfants.
Nous fîmes avec lui le tour de l’établissement.
Ces grandes cours sans arbres, ces cloîtres
uniformes d’ une froide architecture moderne, ces
tristes clameurs de la récréation, voix discordantes
et comme furieuses des enfants prisonniers, ces
mornes figures des maîtres d’ étude, jeunes gens
déclassés qui sont là, pour la plupart, esclaves
de la misère, et forcément victimes ou tyrans ;
tout, jusqu’ à ce tambour, instrument guerrier,
magnifique pour ébranler les nerfs des hommes qui
vont se battre, mais stupidement brutal pour appeler
des enfants au recueillement du travail, me serra
le coeur et me causa une sorte d’ épouvante. Je
regardais, à la dérobée, dans les yeux de Maurice,
et je le voyais partagé entre l’ étonnement et
quelque chose d’ analogue à ce qui se passait en
moi. Pourtant il tenait bon, il craignait que son
père ne se moquât de lui ; mais quand vint le moment
de se séparer, il m’embrassa, le coeur gros, les
yeux pleins de larmes. Le censeur le prit dans ses
bras très paternellement, voyant bien que l’orage
allait éclater. Il éclata, en effet, au moment où
je m’en allais vite pour cacher mon malaise. L’enfant
s’échappa des bras qui le caressaient, vint
s’attacher à moi, en criant avec des sanglots
désespérés qu’il ne voulait pas rester là.
Je crus que j’allais mourir. C’était la première fois
que je voyais Maurice malheureux, et je voulais
le remmener.
Mon mari fut plus ferme et eut certes toutes les
bonnes raisons de son côté. Mais, obligée de
m’enfuir devant les caresses et les supplications
de mon pauvre enfant, poursuivie par ses cris
jusqu’ au bas de l’escalier, je revins chez moi
sanglotant et criant presque autant que lui dans
le fiacre qui me ramenait.