Archive pour 3 février, 2007

Entrée au collège.

 

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J’ai trouvé ce texte particulièrement émouvant et j’ai voulu vous le soumettre. 

Bonne lecture.

 

 

George Sand  (1804-1876). Histoire de ma vie

 

 

          Un autre chagrin plus profond pour moi fut l’entrée
          de mon fils au collège. J’avais attendu avec
          impatience le moment de l’avoir près de moi, et ni
          lui ni moi ne savions ce que c’est que le collège.
          Je ne veux pas médire de l’éducation en commun,
          mais il est des enfants dont le caractère est
          antipathique à cette règle militaire des lycées, à
          cette brutalité de la discipline, à cette absence
          de soins maternels, de poésie extérieure, de
          recueillement pour l’ esprit, de liberté pour la
          pensée. Mon pauvre Maurice était né artiste, il
          en avait tous les goûts, il en avait pris avec
          moi toutes les habitudes, et, sans le savoir encore,
          il en avait toute l’ indépendance. Il se faisait
          presque une fête d’entrer au collège, et, comme
          tous les enfants, il voyait un plaisir dans un
          changement de lieu et d’existence. Je le conduisis
          donc à Henri IV, gai comme un petit pinson, et
          contente moi-même de le voir si bien disposé.
          Sainte-Beuve, ami du proviseur, me promettait qu’il
          serait l’objet d’une sollicitude particulière. Le
          censeur était un père de famille, un homme excellent,
          qui le reçut comme un de ses enfants.
          Nous fîmes avec lui le tour de l’établissement.
          Ces grandes cours sans arbres, ces cloîtres
          uniformes d’ une froide architecture moderne, ces
          tristes clameurs de la récréation, voix discordantes
          et comme furieuses des enfants prisonniers, ces
          mornes figures des maîtres d’ étude, jeunes gens
         déclassés qui sont là, pour la plupart, esclaves
         de la misère, et forcément victimes ou tyrans ;
         tout, jusqu’ à ce tambour, instrument guerrier,
         magnifique pour ébranler les nerfs des hommes qui
         vont se battre, mais stupidement brutal pour appeler
         des enfants au recueillement du travail, me serra
         le coeur et me causa une sorte d’ épouvante. Je
         regardais, à la dérobée, dans les yeux de Maurice,
         et je le voyais partagé entre l’ étonnement et
         quelque chose d’ analogue à ce qui se passait en
         moi. Pourtant il tenait bon, il craignait que son
         père ne se moquât de lui ; mais quand vint le moment
        de se séparer, il m’embrassa, le coeur gros, les
        yeux pleins de larmes. Le censeur le prit dans ses
        bras très paternellement, voyant bien que l’orage
        allait éclater. Il éclata, en effet, au moment où
        je m’en allais vite pour cacher mon malaise. L’enfant
        s’échappa des bras qui le caressaient, vint
        s’attacher à moi, en criant avec des sanglots
        désespérés qu’il ne voulait pas rester là.
        Je crus que j’allais mourir. C’était la première fois
        que je voyais Maurice malheureux, et je voulais
        le remmener.
        Mon mari fut plus ferme et eut certes toutes les
        bonnes raisons de son côté. Mais, obligée de
        m’enfuir devant les caresses et les supplications
        de mon pauvre enfant, poursuivie par ses cris
        jusqu’ au bas de l’escalier, je revins chez moi
        sanglotant et criant presque autant que lui dans
        le fiacre qui me ramenait.

 

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