Pour le Grillon
POUR LE GRILLON
Je demeurois dans un four chaud,
où je passois fort bien ma vie,
quand hier voyant le feu des beaux yeux de Sylvie,
je pensay tomber de mon haut.
Si vostre salut vous est cher,
eloignez-vous de l’ inhumaine,
gardez-vous bien de l’ approcher,
et prenez-cét avis pour une bonne estrenne ;
moy, qui comme Midrac, Sidrac, Abdenago,
(la rime en sera difficile)
chantois dans la fournaise, et vivois à gogo
dans les lieux les plus chauds dont j’ ay fait mon
asyle ;
je meurs et languis dés le jour
que je m’ approchay de la belle,
comment, diable ! à trente pas d’ elle,
il fait chaud comme dans un four.
Depuis que je la vis, ma langue est seiche et noire,
je souffre des douleurs que vous ne sçauriez croire ;
il ne fut jamais rien de tel.
Que si je n’ en meurs pas, je merite en l’ histoire,
et le nom et la gloire,
de grillon l’ immortel.
, Vincent Voiture (1597-1648). Poésies